Extrait :
« Ultraworld est un film américain réalisé par Anton Pïrsk. C’est un peu l’équivalent cinématographique de La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Toole s’est suicidé en 1969 à 31 ans parce qu’il ne parvenait pas à faire éditer son livre¹. Pïrsk, lui, a complètement disparu de la circulation et son film avec. Il n’y a aucune édition DVD, Blu-Ray, aucune copie du métrage qui circule sur le marché. Il apparaît, dit-on, parfois, sur certaines plateformes de téléchargement illégal (…)
On sait très peu de chose sur le réalisateur. Il serait d’origine tchécoslovaque mais rien n’est sûr, « Pïrsk » est peut-être un pseudo. On colporte qu’il avait 24 ans lorsque le film est sorti en salle et quand je dis « en salle », ce n’est pas non plus totalement avéré. Seul Bret Easton Ellis, en 2005, lors d’une interview accordée au New York Times pour la sortie de son roman Lunar Park², évoquera le souvenir d’une projection d’Ultraworld, été 91 : « Je n’ai jamais rien vu de plus malade, de plus abject et de plus génial » et il termine par « God help us all ! »³, ce qui est assez intéressant mais nous verrons ça par la suite (…)
Le film a été tourné en vidéo. C’est une image assez sale. Volontairement sale. Tout se déroule dans une ville de banlieue américaine. Très certainement dans le sud des Etats-Unis. Tous les comédiens sont des comédiens amateurs, la plupart avec des gueules pas possibles et toute cette ambiance rappelle forcément le film d’Harmony Korine, Gummo, qui lui, est sorti en 1997. Il est d’ailleurs fort probable qu’Harmony Korine l’ait vu et s’en soit inspiré (…)
Alors qu’est-ce qu’Ultraworld….
C’est un film sans réel scénario. Il y a bien quelques scènes qui s’enchaînent, mais la plupart du temps, ce sont des séquences, parfois longues, collées les unes aux autres sans véritable lien et qui dépeignent un univers complètement déjanté où tout a l’air régi par une secte polythéiste, aidée en cela par la police locale, où les gens meurent, tombent comme des mouches, sans véritable raison, où les cadavres sont donnés aux cochons, où Halloween est une fête clandestine – ceux qui la célèbre sont victimes de rafles – , où le concept de famille se réduit à une courge cultivée dans de vastes champs (…)
C’est un vrai collage. Il y a quelques voix off très mal enregistrées. Il y a ce que filme Pïrsk, mais il y a aussi des images d’archives, des photos, des dessins, etc… c’est un peu foutu comme un journal intime (…)
Globalement on suit les tribulations d’une jeune fille qui doit avoir 13, 14 ans, visiblement orpheline, livrée à elle-même dans la maison familiale et dont personne ne se préoccupe (…)
Une séquence marquante du film : la culture de la courge.
Alors d’abord il y a cette gamine, accompagnée d’un petit gars. Ils s’enfilent de grosses bières, passent à côté d’un champ et s’arrêtent.
Il y a là une trentaine de personnes. Zoom dégueulasse. Parmi eux : des flics en uniforme, toute sorte de gens. Une partie du champ est bêchée et dans l’autre partie, certains ramassent des courges qui ressemblent à des butternuts.
On enchaîne ensuite sur plusieurs tableaux où l’on se rend compte que ces courges font l’objet de beaucoup d’attention dans les foyers de la ville. On en prend grand soin et lors des repas, elles sont placés au centre de la table, comme si elles étaient fédératrices : les gens s’apprêtent un peu plus quand ils ont des courges « à dîner ». S’apprêter c’est un bien grand mot mais quand même. Certains les mettent sur des meubles comme s’il s’agissait d’urnes funéraires. Elles ont une vraie place. Dès que les familles se réunissent, il y a courge à proximité. Et cela, tout le long du film.
C’est marrant parce que ça me rappelle L’invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel. Il y a donc une idée d’abrutissement contre-nature très forte et une critique du modèle sociétal américain assez aiguisée.
La gamine, elle, a déposé sa courge dans une poussette qui reste sur le perron de la maison (…) »
1. Il sort finalement en 1980 grâce aux efforts de sa mère et le soutien de l’écrivain Walker Percy.
2. En réponse au journaliste qui qualifie ses romans de « satire sociale fétide », Ellis s’appuie sur le film de Pïrsk pour démontrer qu’il existe bien pire.
3. « Que Dieu nous vienne en aide »
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Ultraworld soundtrack (1991) : 2xLP Alchemy Records (JP-Osaka) 2013 (sold out)